Incendie d’une caraque (source : wikipedia)
Sacré titre n’est ce pas ?
C’est que, cette fois ci, en plus de vous raconter ce que j’ai découvert, je veux aussi vous montrer comment je l’ai découvert. Comment en suivant le fil d’une histoire, je me suis aperçu qu’il y avait d’autres fils à suivre… D’un bateau à un autre, d’une époque à l’autre, j’ai suivi ce petit bout de fil que je vais partager avec vous.
Enfin bon, je ne vais pas chercher à vous perdre tout de suite, suivez-moi et embarquons dans une petite histoire havraise d’aujourd’hui qui va nous mener à de grandes histoires havraises d’hier…
Bourdet — Découvertes Archéologiques faits au Havre en 1875 et 1876
Notre petit bout d’histoire commence, comme souvent, chez l’un de mes bouquinistes favoris.
Hé ! je vais pas vous dire lequel, les bouquins c’est comme les coins à champignons…
Bref !
Il m’avait prévenu quelques jours auparavant d’un futur arrivage “de qualité”. Alors forcément, je m’en serai voulu de ne pas y aller. Un petit tour du côté du rayon baleiniers, un autre petit détour derrière les étagères contenant les registres de fortifications allemandes en Normandie, un crochet par les légendes et contes du pays de Caux, et puis pour terminer, le meilleur pour la fin : Le Havre.
“Je te le prend !” lançai-je à mon bouquiniste
“15 balles” qu’il répondit !
“Gloups” fis-je, me rappelant ma délicate et précaire infortune de nécessiteux chômeur…
Sitôt rentré à la maison, je filais à mon bureau explorer ce petit ouvrage.
Je dévorais ce “tiré à part” dans la soirée, et sitôt levé le lendemain que j’entrepris de comprendre, de fouiller, d’aller à la découverte de cette histoire locale que je ne connaissais pas suffisamment bien encore.
J’avais trouvé un petit bout de fil à suivre, à tirer.
Notes de D. Bourdet trouvées chez mon bouquiniste
Suivez-moi les curieux et les curieuses !
On verra bien où ça va nous mener…
Nous sommes à la Floride en 1875.
Vous emballez pas! la Floride… du Havre.
La Floride c’est les actuels quai Roger Meunier et Pierre Callet. C’est là que se trouve le pôle croisière du Havre. Et de manière générale c’est là que tous nos navires de croisières accostent et débarquent nos visiteurs depuis … depuis que la Floride est la Floride quasiment. C’est à dire que bien avant de s’appeler Floride, nous autres havrais avions coutume de l’appeler Florinde, et il y a bien plus longtemps encore, “La Fosse aux Mats”.
La Floride en 2018 (source : Google map)
Enfin revenons à notre XIX ème siècle. La Floride du Havre avant de ressembler à ces “beaux” quais rectilignes et d’équerres, ça ressemblait plutôt à ça…
Les quais de la Floride fin XIX ème(source : AMH 7Fi18)
Le Fort de Floride vu depuis la jetée nord(source : AMH 7Fi34)
Les navires traversant la Manche et l’atlantique viennent y accoster le temps d’une escale, ou d’un armement pour affronter la mer et ses tumultes.
Un Transatlantique à quai aux abords de la Floride (source : AMH 7Fi23)
Il faut dire que la Floride est un formidable abri, un havre dans le Havre, à l’ombre de son fort, dont rares sont les photographies qui nous sont parvenues jusqu’à aujourd’hui.
Le Fort de Floride (source : AMH 31Fi1219)
Le Fort de Floride au loin, on remarque une hirondelle à droite, un navire pilote du Havre, et à gauche un remorqueur, en sommes des abeilles et des hirondelles en Floride(source : AMH 71Fi824)
En bref, La Floride c’est un refuge pour les navires du Havre.
Sauf que… Le progrès… L’argent… Plus, toujours plus…
Il faut agrandir le port du Havre. Il faut se débarrasser du patrimoine, et construire plus grand…
A la fin du XIX ème siècle le Havre fait table rase du passé.
Le fort de la Floride en pleine deconstruction(source : AMH 71Fi660)
L’ambiance est à l’ouvrage.
Les cadences effrénées.
Voilà plus d’une décennie que le Havre et son port sont en pleine transformation.
La ville prend son essor sous l’impulsion de la chambre de commerce et du port.
Il faut voir plus grand, plus fort. Le coup d’envoi a été donné il y a presque 15 ans.
Le port doit s’agrandir et se débarrasse de sa vieille nourrice, la tour François I er, en 1861.
Les ouvriers mettrons dix ans à l’arraser complètement, allant jusqu’à faire usage d’explosifs et de dragues à godets pour arracher jusqu’aux dernier pieux de chêne soutenant les fondations de
notre première pierre havraise.
Le monde est en marche le progrès n’attend pas, et, je cite la chambre de commerce du Havre de l’époque :
“Le commerce n’a aucun intérêt à conserver la tour”
Il faut dire que les havrais ne vont pas non plus s’enchaîner à cette dernière pour la conserver…
1860, les jours de la tour sont comptés (source : AMH 7Fi96)
Les derniers jours de la tour François I er (source : CCI-LH_LB-523–657_0001)
Notre Floride ne fait pas exception, et l’on creuse de profondes tranchées pour les futurs quais.
Nous y sommes, c’est là que je trouve notre bout de fil à suivre.
Au fond de l’une de ces tranchées, celle qui deviendra bien plus tard le quai Pierre Callet, les machines à vapeur soufflent, et les ouvriers piochent, pellettent, creusent la vase et les galets mélangés depuis des décennies, des siècles …
Et soudain, la découverte.
Sur les bords de cette ancestrale digue naturelle, aujourd’hui enterrée, l’on trouve du bois.
Beaucoup de bois, vieux, parfaitement conservé. Sur l’antique banc de la Floride “dont la surface est plus longue que large” nous dit Désiré Bourdet, par près de 5 mètres de profondeur gît une
épave. Les travaux s’arrêtent, du moins pour le moment.
Il faut entreprendre des fouilles archéologiques, mais vite, car rappelez-vous “Le Commerce n’attend pas”.
De quel type de navire peut-il bien s’agir ? Et de quelle époque ?
La méthode habituelle consiste à dater les objets que l’on pourrait récupérer dans l’épave.
Sauf que… Il n’y a rien. Rien de Rien.
D. Bourdet suppose alors que les habitants de la rive de l’époque auront pillé le navire alors qu’il avait fait naufrage et s’était échoué sur la grève de la Floride.
Le contremaître des travaux est en haut du quai, et toise nos petits archéologues au fond de la fosse.
Le temps passe. “On ne va pas arrêter les travaux pour une vieille coque de noix tout de même!” marmonne t-il.
Sauf qu’il semblerait bien que “la coque de noix” date du XVI ème siècle. Car si aucun objet n’a été trouvé, la méthode de construction du navire ne laisse pas beaucoup de place au doute.
Je n’ai pas retrouvé beaucoup d’informations sur cette épave.
Mais il semblerait qu’il s’agisse d’une cogue “évoluée”. Une petite caraque.
Sur ce plan de Hieronimus Cock, nous pouvons voir deux galères au centre et à droite, ainsi qu’une caraque à gauche (source : AMH)
Une caraque au XV ème siècle (source : maitres-du-vent.blogspot.com)
Réplique de la Caraque Espagnol “Nao Victoria “ de Magellan (source : Actu.fr)
Le XVI ème siècle comme contexte semble pertinent, mais qu’en est-il de son rôle ?
Là encore les archéologues vont devoir poursuivre leurs excavations, et vont aller de surprises en surprises.
Plus loin dans la tranchée de vase et de galets, du bois … Beaucoup de bois !
Un autre navire. Et plus loin, un autre vaisseau encore !
C’est un veritable cimetière de navires qui fut mis au jour. Et encore, vous vous doutez bien que les archéologues de l’époque, sous l’oeil des ouvriers et des ingénieurs pressés de finir les
travaux, n’ont pas pu mettre au jour l’ensemble du site.
Aujourd’hui encore, à ma connaissance le mystère demeure sur le devenir de ces carcasses.
Néanmoins les archéologues purent déterminer qu’en l’absence d’éléments métalliques, des techniques de construction à base de chevilles de bois, et de la forte présence de … Vertèbres de morues
et de plombs de pêche de deux kg pièce, il devait s’agit de Terre-Neuviers du XVI ème siècle. Un bâtiment Terre-Neuvier est un navire de pêche spécialisé dans la morue.
Au XVII ème siècle, le Havre sera le premier port de pêche à la morue verte. La Morue était une manne financière pour la ville du Havre. Les Terre-Neuviers fourniront même “sels morue et
maquereau” pour subvenir aux besoins financiers de la vieille église Notre Dame.
Précieuses morues depuis la découverte de Terre Neuve (source : Wikipedia Morutier)
Mais que diable ces navires pouvaient-ils bien faire échoués sur la grève de Floride ?
D. Bourdet sera le premier à rappeler la “mal marée” de janvier 1525.
28 navires firent naufrage au Havre. La ville fut inondée, si brutalement que les habitants n’eurent pas même le temps de sortir de leur maisons et y périrent noyés.
D. Bourdet imagine assez bien que la puissance du vent, combiné à l’effet du courant, ait pu enfoncer les coques des Terre-Neuviers dans la grève de Floride. Tant et si bien qu’il en sera
impossible de les en extraire une fois l’épisode de tempête terminé.
Revenons au XIX ème siècle. Depuis Juin, Juillet, Août 1875 et janvier, février 1876, les épaves de navires surgissent littéralement de la fosse creusée dans la Floride.
Les épaves des Terre-Neuviers sont là, dans la vase et les galets, sous nos quais, aujourd’hui encore.
D. Bourdet en répertorie plus de onze !
Certains navires livrèrent plus d’objets que les autres, comme des tonneaux, des caps de moutons, des ossements de bovidés…
On trouvé même une tête de vache ! Il faut dire qu’au XVI ème siècle, il était courant d’embarquer une vache pour les longues traversés afin de ne manquer ni de lait ni de viande. Au fond de l’un
des Terre-Neuviers l’on trouva quantité de fourrage pour la bête.
On trouva aussi un peigne en bois très grossier mais témoignant de l’hygiène et/ou coquetterie des matelots de l’époque.
Certains navires ne seront pas même fouillés, car ne présentant, pour l’époque, “aucun intérêt archéologique”.
Les travaux du quai reprirent, les tranchées furent prolongées. Et de nouveaux navires firent leur apparition.
Mais voilà que parmi nos Terre-Neuviers d’antan, un navire se distingue.
En janvier 1876, une épave d’une formidable longueur apparaît dans la vase.
Voici quelques détails techniques :
Elle mesurait 25 mètres de long sur un axe nord sud.
Elle était couchée sur tribord, écrasant son bastingage bâbord.
La quille était complète.
La proue et la poupe semblaient presque identiques.
Une fois la vase évacuée, l’on examina le pont. Chose surprenante il n’y avait pas de place pour un mât.
C’était une galère de guerre du XVI ème siècle.
Galère du port du Havre (source : AMH plan Hieronimus Cock)
Galère du port du Havre (source : AMH plan Hieronimus Cock)
Dans son flanc, l’on dégagea une pièce d’artillerie typique du XVI ème siècle, alors appelée “Pierrier”.
D. Bourdet précise dans ses notes qu’il reste encore un bout de mèche conservée dans la “lumière” (le trou à la base de la culasse), et que la pièce était encore chargée de poudre !
Plus loin dans la vase c’est un boulet qui fut extrait des galets poisseux.
Ce navire qui a coulé, était donc prêt à faire feu quand il a fait naufrage …
Le pierrier ou veuglaire à de curieuses similitudes avec la bombarde plutôt utilisée au XVII ème siècle nous le verrons (source : Notes de D. Bourdet)
Le pierrier pris sous un autre angle ( source : Antiquitez du Havre de Grace 1711)
Au fond de la cale c’est une roue de canon entourée de bandes de fer qui fut sortie de la vase.
Voilà qui est commode pour rendre une artillerie mobile, effectuer un siège par exemple.
Roue de canon sortie de l’épave (source : Notes de D. Bourdet)
Enfin dans les tréfonds du ventre de la galère, d’autres objets furent trouvés.
Des rivets, provenant de la roue certainement, un soulier, dont on trouva assez rapidement le modèle et par conséquent l’époque, là encore typique du XVI ème siècle.
Grande avancée dans la mode de l’époque, nous autres havrais abandonnâmes enfin les terribles chaussures à poulaines pour porter des chaussures un peu moins ridicules à mon humble avis… Je vous laisse juge.
Chaussures à poulaine typique du moyen age… (source : LeblogdeLeonide. Overblog)
Le soulier de la galère de Floride (source : Notes de D. Bourdel)
J’ai retrouvé ce à quoi devait ressembler ce soulier alors qu’il devait avoir fière allure avant de séjourner dans une épave plusieurs siècles.
C’est plus l’idée de ce soulier que ce soulier. (source : wikipedia costume du XVI ème)
Réplique assez proche de l’original ! le soulier du XVI ème siècle (source : eddieluciano.wordpress.com)
Enfin un nombre important d’éléments de cordage fut exhumé.
Sous nos pieds gît donc le Havre d’antan. Et pas que les murs des maisons !
Même ce patrimoine fragile maritime est encore là.
Le soucis c’est que le port du Havre, en ce XXI ème siècle, est un outil de travail.
Un poumon économique international. J’ai bien conscience que l’on ne peut mettre la machine à l’arrêt sous prétexte de fouilles archéologiques et de mises en valeur du patrimoine local pour faire
plaisir à quelques rigolos comme moi (je le regrette).
J’imagine que si notre ville n’avait pas subit le bombardement anglais de 1944, ce vieux patrimoine serait plus accessible, d’une certaine manière.
C’est certainement l’absence visible totale de nos racines, qui me pousse à les chercher toujours plus.
Je pensais avoir fini de suivre mon bout de ficelle, mais si je ne vous ai pas perdu en cours de route, et que je ne vous ai pas lassé, je vous propose de tirer un peu plus sur la ficelle, parce que je ne vous ai pas dit un truc.
Mais moi cette histoire de galère prête à tirer échouée sur les bords de notre Floride ça m’a évoqué un événement historique du Havre.
L’incendie en rade du Havre du Caraquon Philippe et le sauvetage des naufragés sur les galères de guerre de la flotte royale. Je vais vous raconter ça.
Galère légère de combat (source : arsenalvenise.hypotheses.org)
Que diable ferait une galère armée dans le port du Havre prête à faire feux ?
Je ne sais pas vous, mais moi je me balade pas chez moi avec un pistolet chargé dans la poche … (ni même dans la rue rassurez vous).
Mais, partons voulez-vous, du postulat que cette galère est française.
Et quittons le XIX ème siècle et la Floride pour gagner le grand quai (actuel quai de Southampton), début juillet 1545.
François I er est là, au Havre !
C’est sa dernière visite. Il compte voir sa flotte de guerre prendre le large pour affronter nos ennemis de toujours…
Ceux qui n’auront de cesse de bombarder la ville du Havre jusqu’en 1944, les Anglais. La flotte royale est composée de caraques, et autres galères. Le navire amiral est une petite caraque appelée
Le Caraquon Philippe, jaugeant 1200 tonneaux ou 800 selon les sources. Il était armée de quelques 100 canons.
Maquette du Caraquon Philippe (source : gede-de-le-havre.blogspot.com)
J’ouvre une parenthèse :
Ce n’est pas la première fois qu’un tel vaisseau aux proportions démesurées mouille en rade du Havre.
Vous avez certainement tous entendu parler de “La Grande Françoise”.
Par simple curiosité j’ai cherché des infos à son sujet.
“La Grande Françoise” est un navire aux proportions gigantesques pour son époque. C’est une caraque dite portugaise, construite dans la fosse de l’Eure et jaugeant 2000 tonneaux. On trouvait à bord un jeu de paume, un moulin à vent, une forge, et même une chapelle dite Saint François où l’on bénissait le pain tous les dimanche. Elle fut lancée au mois de mars 1524. Mais impossible de la faire quitter le port du Havre. Il faut dire qu’a l’époque le port du Havre est un peu comme celui de Saint Valery en Caux. C’est à dire qu’a marée basse, il est quasiment sec. L’on pourrait presque passer de la jetée nord à la jetée sud à pied !
Le port du Havre et son entrée au XVI ème siècle à marée basse(source : AMH FRAC076351_71Fi0404)
Il faut donc attendre les grandes marées d’équinoxe pour amener “la Grande Françoise” à passer le cap de la tour François I er.
Ce qui fut pensé, fut exécuté. La légende veut qu’alors que “la Grande Françoise” ne parvenait pas à franchir l’entrée du port, des marins oeuvrant sur les basses vergues sautèrent de ces dernières pour gagner la tour François I er.
Cela n’a pas dû plaire au gouverneur de la place qui ordonna qu’on suréleva le merlon de la plateforme de tir de la tour pour éviter tout autre incident du même genre. Bref. Devant l’impossibilité de gagner le large, l’on échoua le navire fosse de l’Eure où il fut dépecé par les havrais à partir de 1538.
Très rare représentation “réaliste” de la Grande Françoise, l’on notera la présence du moulin à la proue. (source : Le Havre et son arrondissement de Joseph Morlent)
Fermons cette parenthèse et revenons en 1545.
Le 6 Juillet, François Ier est au cap de la Hève, allons lui tenir compagnie, la vue est imprenable du plateau pour mirer les événements qui vont suivre.
Vue depuis le cap de la Hève sur l’entrée du port du Havre (source : google map)
La flotte royale se rassemble pour attaquer l’Angleterre, le roi a même fait venir 26 galères de Provence et 10 caraques Génoises pour grossir la flotte de l’amiral Annebaut déjà forte de
quelques “50 gros vaisseaux” et “100 vaisseaux légers”.
L’histoire semble raconter que nos pilotes havrais firent couler quelques unes des 10 caraques génoises en baie de Seine par inadvertance… Premier mauvais point pour la France.
Cet incident n’est pas sans rappeler la découverte d’un navire du XVIème siècle lors des travaux de port 2000.
Les marins qui travaillaient à bord d’une drague ont entendu des bruits sourds.
Ils avaient réalité remonté dans leur dragueuse, un canon en bronze.
Les travaux furent stoppés pour récupérer ce qui pouvait l’être.
Etait-ce là les vestiges de quelques caraques génoises perdues en 1545 ?
Une caraque Génoise, telle qu’il en gît peut être encore au fond de l’embouchure de la Seine (source : mediastorehouse.com)
La DRAC inventorie ce qui peut l’être (source : DRAC)
Le fameux canon remonté par la drague (source : DRAC)
Les probables vestiges d’une Caraque (source : DRAC)
En réalité, si la vue est belle du haut du plateau pour admirer la flotte de sa majesté, l’endroit n’est peut être pas si bien choisi. Les navires ennemis sont aux aboies.
La côte est patrouillée par les Ramberges anglaises, et ces dernières voient bien qu’il se trame quelquechose de royal en haut du plateau et dans le port du Havre.
Ramberge anglaise du XVI ème (source :www.carredescanotiers.fr)
L’occasion est trop belle !
Nos ennemis ouvrent le feu sur le cap de la Hève, visant notre royal souverain, ou en tout cas ce qui y ressemble…
Deuxième mauvais point pour la France…
Fort heureusement, l’artillerie de l’époque n’était pas précise, et l’on quitte bien vite le promontoire de la Hève pour gagner la tour François Ier (selon certaines sources). Formidable bunker avant l’heure, la tour dispose d’une terrasse qui fera parfaitement l’affaire pour sa majesté qui souhaite contempler la puissance navale de son pays.
François Ier doit gagner dans la journée le pont du Caraquon car un festin y est donné afin de célébrer le départ de la flotte royale pour l’Angleterre.
L’histoire raconte qu’un cuisinier trop confiant, le maître coq, aurait fait un trop grand feu en cuisine, déclenchant le terrible incendie qui va s’en suivre…
Mais la légende raconte qu’un espion Anglais aura été vu sur le port peu de temps avant.
Rien d’étonnant dans cette légende, après tout la flotte royale était rassemblée, c’était une bonne occasion pour la Couronne d’Angleterre de compter nos navires et estimer nos forces en vues de
futurs escarmouches.
Comme le dit l’adage au Havre, il n’y a pas de fumé sans Anglais dans le coin. Et comme le dit mon ami Thierry Vincent, archiviste Municipal, “Si un Anglais se trouvait dans les environs, c’est qu’il avait des raisons de s’y trouver”.
De toute façon l’incendie part des cuisines du Caraquon.
Incendie d’une caraque (source : wikipedia)
C’est la panique à bord ! d’autant que je ne vous ai pas dit quelquechose.
Le Caraquon transporte à son bord une cassette royale avec l’or et l’argent pour payer les marins…
Le Caraquon est pleins de trésors, et il brûle.
C’est la panique à bord, les gente dames, et les gentils hommes paniques, font signe aux galères mouillant dans le port.
L’un de ces rapides navires gagne les abords du Caraquon ardent.
C’est “La Maîtresse”, une galère de Provence richement décorée.
Il se dit que le trésor du Caraquon fut embarqué à bord de la Maitresse, comme il se dit que ce trésor est resté à son bord.
Qu’importe, pour l’heure il faut sauver des vies.
Ceux qui embarqueront à bord de la galère vivront, les autres mourront noyés, étouffés par la fumé ou brûlé par les flammes.
Mais c’est alors que retenti une détonation puissante !
Un coup de canon.
François I er depuis la terrasse de tir de la tour contemple le triste spectacle.
Gravure du XVIII ème siècle, présentant un incendie dans la rade. Le port du Havre n’a subit que peu de modifications depuis la fin du XVI ème siècle en ce qui concerne ce point de vue. (source : AMH FRAC076351_71Fi0382)
Son navire amiral brûle avec son trésor peut être, et ses canons font feux.
Le Caraquon et la flotte en partance le lendemain pour l’Angleterre avaient leurs canons chargés en rade du Havre.
Et c’est pour cette raison que, chauffés par le feu ravageur de l’incendie, les canons du Caraquon tirent à l’aveugle !
C’est une formidable artillerie folle qui ouvre le feu sur la flotte et le port du Havre.
Pendant ce temps là, peut être qu’un espion à l’accent d’outre Manche se frottent les mains…
Le Caraquon sera remorqué à la rame, encore brûlant, jusqu’à la fosse de l’Eure comme la Grande Françoise quelques 7 ans plus tôt.
Là, il finira de se consumer. Mais on ne sait rien de la cassette militaire royale qui se trouvait à son bord.
Alors, curieux et curieuses qui habitez aujourd’hui dans le quartier de l’Eure, peut être que sous votre immeuble, au bout de votre jardin, ou au fond d’un bassin, repose encore la cassette militaire du Caraquon…
Et quel rapport avec D. Bourdet ? Et notre navire échoué sur la Floride?
Je pose la question suivante : Et si la galère retrouvée aux abords de la future pointe de floride n’était pas un dommage collatéral de l’incendie du Caraquon ?
Je dis ça car, rappelez vous, la galère trouvée lors des travaux du futur quai Pierre Callet était encore armée de l’une de ses pièces d’artillerie, et il a été démontré par Désiré Bourdet que cette pièce était chargée !
Coïncidence ? Peut être …
Mais après tout, qu’y a t il de mal à rêver d’une cassette militaire enfouie sous le quartier de l’Eure? Qu’y a t il de mal à imaginer que l’épave d’une galère ait été témoin de l’une des toutes premières grandes catastrophe maritime de l’histoire de notre port du Havre?
Les navires incendiés ont toujours nourri l’imaginaire collectif. Normandie, Lafayette, et même d’autres navires ! Jean Michel Harel me rappelait hier soir encore, la tragédie du Hindenburg.
Et bien pour ma part je vous offre la tragédie du Caraquon et de la galère anonyme du port du Havre.
Une légende à base de bout de ficelle que l’on suit sans trop savoir où l’on finira par débarquer…
Sources :
Archives Municipales du Havre
Thierry Vincent
Jean-Michel Harel
threedecks.org
lehavredavant.canalblog.com
Notice historique sur la marine française
L’esprit des Journaux de J. J. Tutot, 1784
Histoire de France: abrégée, critique et philosophique Volume 7
Antiquitez du Havre de Grâce: une histoire inédite écrite en 1711
Histoire de la marine de tous les peuples depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours par Du Sein
Essais archéologiques, historiques et physiques sur les environs du Havre par Pinel Louis-Augustin
L’art naval par Léon Renard
Premier voyage de S. A. R. Mme la duchesse de Berry par Pihan-Delaforest et Ange-Augustin-Thomas
Lettres d’un voyageur à l’embouchure de la Seine par Masson de Saint-Amand et Amand-Narcisse
Journal Le temps du 12 Aout 1938
Histoire des moyens de communication par Audouit Edmond
Notice sur la grosse tour du Havre, dite depuis la tour François Ier par M.Lecomte, Jean-Baptiste (Abbé)
Quelques bout de ficelles à suivre pour les plus curieux :
Je n’ai pas eu le temps de fouiller cette piste plus en avant. Je vous la livre.
Il semblerait qu’une BD appelé le Caraquon ait été publié en 1947. Peut être aucun lien avec Le Havre, mais il faut vérifier.
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Dan (samedi, 18 décembre 2021 23:18)
Voilà un sacré récit, et très bien illustré merci Max . Je vais pouvoir aller aux sources pas pour les mêmes raisons, mais pour les mêmes endroits.
A bientôt j'espère !
Clesius Néofolk (dimanche, 19 décembre 2021 08:57)
Notre ville regorge de mystères.
Si je gagnais au loto, que n'entreprendrais-je pas pour en découvrir ses secrets enfouis...
Merci pour ton message Dan, et à très bientôt.