Si aujourd’hui le nom même du “ Havre” évoque son architecture moderne et novatrice signée Auguste Perret, elle n’a pas toujours évoqué ce concept au fil du temps.
Il fut une époque ou Le Havre évoquait bien d’autres symboles.
Car qu’est ce que la représentation d’une ville si ce n’est des symboles.
Aujourd’hui Saint Joseph, L’Hotel de ville, le Volcan, ou encore la passerelle au dessus du bassin du commerce nous servent de véritable étendard pour raconter notre ville, pour nous présenter, nous autres havrais.
LH pour Le Havre bien sur ! (source : LH original)
LH et ses symboles, le Volcan, Saint Joseph, L’Hotel de Ville, et la Capitainerie (source : Local Shop)
Mais revenons avant 1944.
Nos symboles d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier.
Les villes d’autre fois ont toujours usés de leurs remparts pour construire leur blason, leur pavillon…
En partant donc à la recherche de nos remparts, j’ai découvert notre premier symbole.
La « grosse » Tour, la Tour François premier.
La “Grosse Tour” (source : Archives Municipales 5Fi0094)
Elle est le premier élément défensif de la ville.
C’est en 1520 sur ordre de Bonnivet qui mandate le Sire du Chilou qu’elle est érigée.
Bonnivet ( source : wikipedia)
Pres de la chapelle en bois du quartier de Notre dame, l’on fait élever une tour en pierre de taille(1540).
Cette tour servira de clocher par la suite, mais n’oublions pas que sa vocation première demeure militaire.
Le ton est donné. Le Havre sera une ville à vocation défensive, véritable verrou de la Seine, et de Paris. Plus tard, quand il sera question d’armer notre ville pour se défendre contre nos ennemis anglais, l’on “déshabillera Pierre pour habiller Paul”. L’on prendra les canons de Rouen et leurs servants pour armer la Tour François Ier. Serait ce là, l’origine de la querelle éternelle entre Rouennais et Havrais ?
Attention plan orienté plein sud (source : collection Laurent Durel)
Plan de la Tour François 1er (source : BNF Gallica)
François premier, veut donc que notre « Bonne »* ville du Havre soit une forteresse. A défaut de la doter de remparts digne de ce nom, il la fait retrancher avec un système de talus et de terrasses.
En 1547 François 1er meurt, Henri II prend sa succession et entreprend de remplacer les retranchements par de véritables remparts.
Henri II fils de François 1er (source : Wikipedia)
Qui dit remparts dit portes :
Les portes du Perrey et d’Ingouville viennent compléter l’ouvrage défensif, déjà doté de la porte de l’Eure.
On en parle pratiquement jamais, mais la Tour François 1er avait une petite sœur.
Il était prèvu de construire une tour jumelle juste en face, sur l'autre digue.
Mais faute de moyen la construction en restera à l'embase de cette futur deuxième tour.
Toutefois, une chaine reliait la tour François Ier à cette embase de seconde tour.
Elle barrait ainsi l'entrée du port en cas de raid ennemi.
Il y avait aussi une autre tour, la tour Vidame.
La Tour du Vidame (Source : collection Laurent Durel)
En 1563, le sieur de Ferrières, vidame de Chartres et gouverneur de la ville estime qu’une seconde tour à l’entrée du port renforcerait la sécurité militaire.
Entre ces deux tours, l’on tendait une chaîne pour interdire l’accès du port au navire.
La chaîne entre les deux tours, notez bien l'erreur de l'auteur qui lie la tour F Ier et la tour Vidame (source : collection Laurent Durel)
Par la suit, les Guerres de religions viendront marquer le tissu urbain même de notre cité.
Resituons un peu le contexte historique.
Coligny devient gouverneur de la place du Havre.
Gaspard II de Coligny (source : Wikipedia)
En 1564, les protestants chassent les catholiques du Havre.
Pour ce faire, ils demandent l’aide des anglais, qui ne se font pas prier deux fois pour débarquer au Havre avec leur armée dont le comte Warwick est à la tête. (6000 fantassins et 300 cavaliers).
Seulement voilà, maintenant que les catholiques sont hors de la ville, les anglais exigent des huguenots (protestants français) qu’ils prêtent serment d’allégeance à la reine d’Angleterre.
La traîtrise des huguenots aura ses limites, et ils seront à leur tour chassés de la ville par les anglais.
Le comte de Warwick fortifie la cité en la dotant notamment d’un fort et de quelques bastions.
La tour de l’église de Notre Dame servira à bombarder les assaillants français.
Le Havre bât pavillon anglais !
Plan du Havre et du Fort de Warwick (source : Archives Municipales 1Fi227)
Il faudra que le Roi lui même, Charles IX, alors âgé d’une dizaine d’années, se déplacent avec sa cour tout entière.
Sa mère Catherine de Médicis sera bien entendu à ses côtés.
Véritable instigatrice et femme de pouvoir.
Charles IX (source : wikipedia)
Catherine de Médicis (source : Wikipedia)
La cour s’installe au manoir de Vitanval à Sainte-Adresse; de là le Roi fait le siège de notre cité.
Le manoir de Vitanval à Sainte Adresse (source : aplemontphoto.blogspot.fr)
Le Connétable de MontMorency, à la tête des troupes de Charles IX chasse les anglais du Havre.
Le fort Warwick est détruit, et la tour de l’actuelle cathédrale du Havre est rabaissée de 30 mètres. C’est pour cette raison que notre belle cathédrale n’a pas de flêche Gothique.
Le Manoir de Vitanval (source : Bojojo76 et CP anciennes)
Mise en abîme : Vitrail de Notre dame représentant Notre Dame et sa tour sans flêche gothique (source : Cathédrale Notre Dame du Havre de Grace)
Revenons à nos remparts.
La situation au Havre après les événements entre Huguenots et Catholiques est plus que tendue…
Cette tension se ressentira au sein même de notre tissu urbain.
Outre sa vocation défensive contre l’envahisseur extérieur, la nouvelle citadelle sera en mesure de pointer ses canons sur la ville elle même !
Si les Huguenots ont donnés la ville la première fois, et bien la citadelle s’assurera qu’il n’y ai pas de seconde fois.
La Citadelle ( source : collection Laurent Durel)
A gauche, la ville, à droite la citadelle (source : Archives Municipales 5Fi1)
Attention, plan orienté plein sud (source : collection Laurent Durel)
La ville, ses remparts, et la citadelles (source : Archives Municipales 5Fi88)
Et puis… Et puis c’est le XVIII ème siècle.
La ville étouffe, elle est à l’étroit… Il faut repousser les remparts.
Chacun y va de son petit projet.
Ceci n’est pas une défaillance de votre ordinateur, n’éssayez pas de régler l’image…(source : archives municipales 1Fi226)
C’est finalement le plan Lamandé qui est adopté par la municipalité et la Chambre du Commerce.
Louis XVI donnera son feu vert lui même !
Le plan Lamandé adopté (source : Archives Municipales 1Fi219)
C’est un travail pharaonique qui s’engage.
Construire de nouveaux remparts dans un premier temps et détruire les anciens enfin.
Mais le XVIIIème siècle est une époque incroyable où les innovations techniques entraînent la France dans une spirale progressiste que rien ne semble pouvoir arrêter.
Les baleiniers envahissent le port du Havre*…
Les rues sont éclairées la nuit… la ville se développe et le plan Lamandé ne suffit pas ! La population de la ville croît et les habitations se développent hors des murs nouveaux.
En 1810 l’Empereur Napoléon avait ordonné que les remparts du Havre soient fortifiés davantage, renforcés.
Par la suite, les Havrais s’appropriérent ces ouvrages.
Les remparts du Havre deviennent un lieu de promenade, de détente…
Un peu comme nos actuels forts de Tourneville et Sainte Adresse.
Le Havre nouveau (source : Archives Municipales 1Fi20)
Le 2 Juillet 1852 les remparts sont condamnés.
Il est acté qu’ils seront détruits et que les communes d’Ingouville, Graville, et Sanvic seront annexées. [erratum1 : c’est le bas-Sanvic qui a été annexé, en gros le quartier Saint-Vincent aujourd’hui, Merci Daniel pour ton observation] [erratum2 : Tout comme pour Graville ce n’est qu’une partie de Graville qui le sera en 1852… le “reste” de Graville le sera en 1919, merci Laurent Durel pour ta vigilance].
En 1854 les remparts ne sont plus.
Le Havre n’a plus de remparts et n’en n’aura plus jamais.
Plus besoin après tout, car le progrès de l’artillerie rend inefficace ce système de défense.
En revanche, il est hors de question d’abandonner la cité aux Prussiens ou aux Anglais.
La ville sera dotée de quatre forts qui viendront la protéger.
Le Fort de Sainte Adresse gardera un oeil sur une menace venant de la mer.
Le Fort de Tourneville gardera un oeil sur une menace venant du Nord.
Le Fort du Mont Joly servira de garnison ( au même titre que Tourneville).
Le Fort des Neiges ( ou de l’eure selon votre école ) gardera un oeil sur une menace venant des marais de l’est.
De petits ouvrages complémentaires comme des bastions ou des batteries viendront compléter ce vaste dispositif défensif.
Bref, rassurez vous Le Havre est bien protégé.
Plus récemment, suite à la seconde guerre mondiale, il est curieux de noter que l’envahisseur nous a laissé de nombreux blockhaus :
C’est une veritable forteresse dont le statut juridique est bien curieux.
En effet, si vous avez un blockhaus allemand dans votre jardin, sachez qu’il est nécessairement considéré comme “prise de guerre” par l’Etat français.
Par conséquent, vous êtes susceptible de voir débarquer l’armée française à tout moment sur votre terrain pour occuper l’ouvrage défensif.
Dans le Fort de Sainte Adresse ( source : personnelle)
Le Fort du Mont Joly (source : Collection Laurent Durel)
Le Fort de Tourneville en 1946 (source : IGN)
Le Fort de L’Eure (source : Archives Municipales)
Le Fort de Floride à l’entrée du port (source : Archives Municipales)
Que reste t’il aujourd’hui de nos remparts?
Ont ils laissé une marque ? Une trace? Un indice?
On serait tentés de dire qu’il ne reste rien.
Qu’il ne reste aucune traces.
Et pourtant… Connaissez vous le boulevard de Strasbourg ? L’avenue Foch? Ou encore l’avenue François 1er ?
Et bien à y regarder d’un peu plus pres, l’on s’aperçoit que ces axes sont bâtis sur l’emplacement des anciens remparts.
Pas convaincu ?
Connaissez vous la rue du Bastion ?
Le bloc triangulaire des maisons des rues Jules Lecesne et du Bastion (source : Google Earth)
Ce bloc de maison est en lieu et place d’un ancien bastion du plan Lamandé.
J’en profite pour remercier mon ami Daniel Haté pour m’avoir fait découvrir cette petite curiosité, vestige insolite d’une époque pas si lointaine mais si difficile à imaginer.
A l’heure de notre 500 ième anniversaire, à l’heure où les havrais sont en quête de leurs racines, il apparaît difficile de pouvoir jeter un regard sur notre passé. Si nos remparts ne sont plus là, ils auront laissés une place dans la ville et dans l’imaginaire collectif.
A ma connaissance il n’existe aucune photos de nos remparts. Celui ou celle qui apportera une photo nette et sans ambiguïté de nos remparts participera activement à l’enrichissement de la mémoire de la cité.
J’aime imaginer le visage de notre ville aujourd’hui si nous disposions toujours de nos vieux remparts.
Je pense que nous aurions un ensemble de monuments très populaire.
L’on viendrait de la Normandie entière pour se promener sur cette charmante ballade en hauteur.
Au lieu d’installer un retroviseur sur le toit de la gare pour “offrir un panorama qui abolit les différences sociales”, les havrais pourraient tout simplement se retrouver sur ces remparts.
Jeter un oeil sur les toits de la ville, ou sur la mer au loin.
Ou alors pourquoi ne pas imaginer quelques terrasses de cafés?
La Guerre des mondes du Havre (source : GoéLH)
La disparition de nos remparts, d’un point de vue économique était nécessaire, d’un point de vue militaire utile, d’un point de vue patrimonial catastrophique.
Si les Havrais d’hier n’avaient pas la notion de patrimoine et monument historique, il nous appartient à nous, havrais moderne, de conserver notre quotidien si banal soit il, car qui sait…
Peut être que lors du 600 ième anniversaire l’on s’interrogera sur nos arrêts de bus de 2017, nos lampadaires originaux, ou encore sur nos bâtiments que nous détruisons de l’interieur pour ne conserver que la façade, comme le foyer du marin, ou la caserne Dumé D’aplemont, ou encore le bâtiment de la poste …
Merci à mon ami Laurent Durel pour m’avoir permis de numériser des documents d’une grande valeur.
Merci encore une fois à Goé pour ses traits d’humour.
Merci à Dan Haté pour ses explications, et la “découverte” de la rue du Bastion.
Merci aux Archives Municipales pour le travail de numérisation continu qu’ils effectuent.
*un prochain article à venir sur la “Bonne” ville du Havre… ou sur les baleiniers du Havre?
Écrire commentaire